Les événements du 25 juillet ont eu l’effet d’un séisme sur la scène politique. Partis effrités, redistribution des cartes dans l’échiquier politique et Parlement gelé, nul ne pouvait prévoir un tel coup. Sauf qu’outre la vie politique, c’est aussi le paysage médiatique qui a été bouleversé par ces annonces et dispositions présidentielles exceptionnelles. Hichem Snoussi, membre de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica), revient sur la couverture médiatique de l’actualité politique mais décrypte, aussi, la situation de l’avant-25 juillet. Entretien.
Comment suivez-vous l’actuel rendement des médias audiovisuels à la lumière des rebondissements politiques ?
Avant tout, laissez-moi éclaircir un point essentiel. Durant la dernière période, il y avait beaucoup de problèmes avec le système qui gouvernait. Nous n’étions pas dans un contexte démocratique, ce système conduit notamment par Ennahdha et Qalb Tounès était au-dessus de la loi. Ils ont créé des médias hors-la-loi et ont porté atteinte à l’intégrité des dernières élections. Ils avaient même les moyens d’entraver l’application des décisions de justice et des amendes. Nous étions dans une situation illégale et nous estimons que le 25 juillet était nécessaire pour mettre fin à cette situation, car nous étions gouvernés par un système mafieux.
Venons-en à l’après-25 juillet. Les déclarations du Président de la République portant sur les droits et les libertés sont jusque-là rassurantes mais il s’agit simplement d’une déclaration d’intentions qui doivent être traduites en objectifs pour rompre avec l’ancienne situation.
Pour ce qui est du rendement des médias et de la couverture médiatique des événements politiques, il faut dire que les dérives que nous observons résultent directement d’une décennie de mauvaise gestion du secteur médiatique. Il y a eu une intervention politique directe dans les médias publics et privés. Ils ont créé un état de peur dans le secteur et auprès des directeurs des médias, chose qui a fait que ces derniers ne se trouvent pas dans un contexte démocratique. D’ailleurs, le 25 juillet, les médias ont choisi de suivre le rapport des forces qui était du côté du Président de la République.
Le 25 juillet, il y avait une sorte de négligence des protestations qui ont eu lieu tout au long de la journée. Après, le Président de la République et ses annonces et dispositions exceptionnelles ont été fortement médiatisées.
Justement. Le dernier rapport de la Haica pointe un déséquilibre au niveau de la couverture médiatique des événements du 25 juillet. Comment expliquez-vous ce constat ?
Cela s’explique surtout par l’absence de l’autorégulation, notamment dans les médias publics qui sont gérés par des administrations. Ces moyens d’autorégulation, même s’ils existaient, étaient inefficaces. Ici on peut se demander sur le statut du journaliste dans son média, car c’est à lui de faire appliquer les chartes déontologiques.
Aussi il faut rappeler les conséquences des choix de l’ancien gouvernement de Mechichi qui avait retiré un projet de loi ayant fait l’objet du consensus de tous les intervenants pour céder le passage à celui d’Al-Karama. Ce gouvernement a également décidé de lever toute subvention aux médias publics. Ce déséquilibre pourrait également être expliqué par certaines campagnes de lynchage sur les réseaux sociaux menées notamment par les sympathisants du mouvement Ennahdha.
Aujourd’hui, le 25 juillet a porté un changement, mais il doit impérativement faire la rupture avec l’ancien régime marqué par une démocratie corrompue et mafieuse. Il doit également porter un message opérationnel à travers la mise en place de textes législatifs pour organiser le secteur.
Quel rôle pour les médias publics dans cette phase politique assez compliquée ?
Les médias publics constituent un concept politique. Ce sont des médias qui servent la diversité et la pluralité et qui croient en la démocratie. Ils doivent constituer un espace public à même de réunir toutes les sensibilités politiques, intellectuelles et culturelles. C’est un pilier pour la construction démocratique en Tunisie, si ces médias ne parviennent pas à servir le citoyen, c’est qu’il ne s’agit pas vraiment de médias publics. Le constat est qu’aujourd’hui nous sommes face à des médias hybrides, publics et gouvernementaux. Mettre fin à cette situation nous donnera une idée sur la vision de Kaïs Saïed du secteur.
Qui gère actuellement le secteur des médias ? Cet état de vide n’aide-t-il pas à améliorer le rendement des médias et des journalistes ?
C’est ça le problème. Nous sommes dans un état de vide, nous n’avons pas de vis-à-vis. L’instance a ses propres projets qu’elle veut mettre en place. Par exemple, nous avons un projet pour la mesure d’audience qui est basé sur la corégulation avec les établissements publics, mais il n’y a aucune coordination avec les parties gouvernementales.
La Haica a publié un communiqué pour appeler la présidence à clarifier sa vision de la liberté de la presse. Y a-t-il des inquiétudes à cet effet ?
Notre crainte est justifiée par l’état de flou. Nous sommes également inquiets des campagnes sur les réseaux sociaux qui sont hostiles aux avis politiques contraires. Le plus grand danger sur le projet de Kaïs Saïed ce sont ces campagnes.
Comment évaluez-vous la stratégie communicationnelle de Kaïs Saïed et le fait qu’il n’accorde pas d’interview à la presse locale ?
Je pense qu’il faut valoriser les médias publics. Le Président de la République doit s’adresser aux Tunisiens à travers les médias publics et nationaux. On ne peut pas mener un projet politique sans stratégie participative. Plusieurs personnes et parties veulent rompre avec l’ancien régime, mais sur la base d’un nouveau système anticorruption. Kaïs Saïed doit converser avec certaines personnes qui jouissent d’une légitimité tirée de leurs efforts dans la lutte contre la corruption.
Quelle est la relation actuellement entre la Haica, Kaïs Saïed et la présidence ?
Franchement, avant le 25 juillet, la relation avec Carthage était bien meilleure. Nous avons présenté des rapports et des projets à la présidence de la République, mais actuellement il n’y a plus de coordination entre les deux parties. Le Président de la République doit traduire ses slogans politiques en actes et faits.
Quid de la situation des médias illégaux ? Pourquoi même après le 25 juillet, le dossier de ces médias n’a pas été ouvert ?
Les dossiers de ces médias ont été transférés devant la justice et l’instance de lutte contre la corruption. Ces médias continuent de diffuser dans l’illégalité, nous avons émis plusieurs amendes à l’encontre de ces médias et nous allons durcir davantage, dans le cadre de la loi, nos sanctions contre eux. La branche exécutive doit assumer ses responsabilités dans l’application de la loi. La chaîne Zitouna TV, par exemple, a commis des crimes contre le peuple tunisien, nous n’avons aucune information sur les sources de financement de cette chaîne qui diffuse depuis 2012 sans aucun revenu publicitaire.
Il existe actuellement des interventions étrangères portant sur le cas de ces chaînes.
Justement, est-il vrai que l’homme d’affaires Tarek Ben Ammar tente de prendre contact avec l’instance pour sauver la situation de Nessma TV ?
Oui, c’est vrai. Il y a eu contact. Il a pris contact avec le président de l’Instance, mais, pour nous, ce n’est pas une question de gestion d’une société. Son objectif est de revoir la composition du capital de la société qui gère cette chaîne pour avoir une licence de diffusion. Il veut racheter les parts d’actions des frères Karoui. Mais ce n’est pas si simple. Nous voulons mettre au clair les sources de financement de cette chaîne et ses relations avec des parties étrangères. Le dossier de Nessma TV a été transféré devant la justice et nous attendons qu’il soit traité le plus tôt possible.
Quelle est actuellement la situation de la Haica ? Certains l’accusent d’illégitimité.
On voulait la tête de la Haica, car elle voulait exercer ses pouvoirs pleinement. Selon la Constitution, la Haica doit faire la passation avec la prochaine instance qui tarde à se mettre en place à cause du Parlement. Il est vrai que le mandat de l’instance a pris fin, mais le 25 juillet a compliqué davantage la donne dans la mesure où le Parlement est actuellement gelé. Avant le 25 juillet, nous avons discuté du changement des membres de l’instance et de son président en attendant la mise en place de la nouvelle instance. Notre situation est actuellement confuse, le Président de la République doit se pencher sur cette affaire. La majorité des membres du conseil de la Haica ne s’accrochent pas au pouvoir. Personnellement, je pense qu’il est nécessaire de remplacer ses membres, Kais Saied doit nommer un nouveau président de l’instance.